5 novembre 2016

Amin Maalouf : Les Croisades vues par les Arabes

Ah que coucou !

Aujourd'hui, pour des raisons de droits d'auteur, je ne peux vous proposer l'ouvrage suivant en téléchargement gratuit :


Toutefois je vais vous donner envie de le découvrir...


Mieux nous connaissons nos ennemis, mieux nous pouvons les battre. Ce livre, malgré qu'il ait été écrit dans les années 80, nous fournit plusieurs renseignements sur nos ennemis : Daesch et ses sbires, ces assassins de masse. Pourquoi ? car ils se sont arrêtés de vivre au Moyen-Age, et plus précisément, au temps des Croisades. Oui, eux, ils n'ont pas évolués contrairement au reste du monde ;)... cet ouvrage est donc d'abord à conseiller à nos chefs de guerre, aux dirigeants de nos Etats-Major, aux dirigeants de nos armées... il est aussi recommandé à tous nos alliés. Il est si riche d'enseignement sur ce que tous ces ASSASSINS croient être juste ;) qu'il nous permet d'apprendre à connaître la majorité de leurs points faibles (auxquels il faut ajouter l'envie, l'orgueil, la jalousie, l'appât du gain...).
Pour nous, qui ne sommes pas musulmans, il est aussi très riche d'enseignements question historique, et nous met dans une position, en tant que lecteur, que certains (= les racistes) pourront avoir des difficultés à supporter car, nous, nous sommes dans le camp des "méchants" ;). Toutefois la neutralité de l'auteur ne nous donne pas envie, nous, de repartir en croisade ;) mdrr ! et nous permet de réfléchir sur les déviations que l'homme fait de la religion et du nom de Dieu afin d'assouvir ses ambitions personnelles. Oui, car les croisades, qu'est-ce qu'elles étaient ? une tromperie pseudo-religieuse visant à accroître le territoire d'abord de l'Empereur grec. Oui, nos ancêtres ont été manipulés au nom de Dieu, comme le sont aujourd'hui quelques-uns des participants aux tueries de masse... et au nom de Dieu ils ont cru avoir le droit de se comporter tels des porcs (viols, pillages, usurpations, spoliations... même envers des autres chrétiens : coptes, orthodoxes)... au nom de Dieu, ils ont même été jusqu'à attaquer et piller des villes portuaires grecques afin que les Vénitiens puissent être les seigneurs de la Méditerranée... ce qui nous invite à penser à tout ce qu'on peut faire faire aux gens au nom de Dieu, alors que la religion énonce tout le contraire dans ses préceptes, dans ses commandements, dans sa philosophie...

Cependant, alors que nous, Chrétiens, semblons avoir fait cette remise en question qui nous a permis d'avancer, l'auteur reconnaît que ce travail de fond n'a pas été fait par les musulmans, même ceux des années 80 et, de ce fait, a prévenu des risques que cela comportait pour la religion musulmane... passage important que je vous mets au-dessous de ma signature et qui n'est autre que l'épilogue de cette œuvre.

Bonne lecture !

Bisous,
@+
Sab


En apparence, le monde arabe venait de remporter une victoire éclatante. Si l’Occident cherchait, par ses invasions successives, à contenir la poussée de l’islam, le résultat fut exactement inverse. Non seulement les Etats francs d’Orient se retrouvaient déracinés après deux siècles de colonisation, mais les musulmans s’étaient si bien repris qu’ils allaient repartir, sous le drapeau des Turcs ottomans, à la conquête de l’Europe même. En 1453, Constantinople tombait entre leurs mains. En 1529, leurs cavaliers campaient sous les murs de Vienne.
Ce n’est, disions-nous, que l’apparence. Car, avec le recul historique, une constatation s’impose : à l’époque des croisades, le monde arabe, de l’Espagne à l’Irak, est encore intellectuellement et matériellement le dépositaire de la civilisation la plus avancée de la planète. Après, le centre du monde se déplace résolument vers l’ouest. Y a-t-il relation de cause à effet ? Peut-on aller jusqu’à affirmer que les croisades ont donné le signal de l’essor de l’Europe occidentale - qui allait progressivement dominer le monde - et sonné le glas de la civilisation arabe ?
Sans être faux, un tel jugement doit être nuancé. Les Arabe souffraient, dès avant les croisades, de certaines « infirmités » que la présence franque a mises en lumière et peut-être aggravées, mais qu’elle n’a pas créés de toutes pièces.
Le peuple du Prophète avait perdu, dès le IXe siècle, le contrôle de sa destinée. Ses dirigeants étaient pratiquement tous des étrangers. De cette multitude de personnages que nous avons vus défiler au cours de deux siècles d’occupation franque, lesquels étaient arabes ?
Les chroniqueurs, les cadis, quelques roitelets locaux - Ibn Amman, Ibn Mouqidh - et les impuissants califes ? Mais les détenteurs réels du pouvoir et même les principaux héros de la lutte contre les Franj - Zinki, Noureddin, Qoutouz, Baibars, Oalaoun - étaient turcs ; Al-Afdal, lui, était arménien ; Chirkouh, Saladin, Al-Adel, Al-Kamel étaient kurdes. Bien entendu, la plupart de ces hommes d’état étaient arabisés culturellement et affectivement, mais n’oublions pas que nous avons vu en 1134 le sultan Massoud discuter avec le calife Al-Moustarchid par l’intermédiaire d’un interprète, parce que Seldjoukide, quatre-vingts ans après la prise de Baghdad par son clan, ne parlait toujours pas un mot d’arabe. Plus grave encore : un nombre considérable de guerriers des steppes, sans aucun lien avec les civilisations arabes ou méditerranéennes, venaient régulièrement s’intégrer à la caste militaire dirigeante. Dominés, opprimés, bafoués, étrangers sur leur propre terre, les Arabes ne pouvaient poursuivre leur épanouissement culturel amorcé au VIIe siècle. Au moment de l’arrivée des Franj ils piétinaient déjà, se contentant de vivre sur les acquis du passé. Et s’ils étaient encore nettement en avance sur ces nouveaux envahisseurs dans la plupart des domaines, leur déclin était amorcé.
Seconde « infirmité » des Arabes, qui n’est pas sans lien avec la première, c’est leur incapacité à bâtir des institutions stables. Les Franj, dès leur arrivée en Orient, ont réussi à créer de véritables Etats. A Jérusalem, la succession se passait généralement sans heurts ; un conseil du royaume exerçait un contrôle effectif sur la politique du monarque et le clergé avait un rôle reconnu dans le jeu du pouvoir. Dans les Etats musulmans, rien de tel. Toute monarchie était menacée de la mort du monarque, toute transmission du pouvoir provoquait une guerre civile. Faut-il rejeter l’entière responsabilité de ce phénomène sur les invasions successives, qui remettaient constamment en cause l’existence même des Etats ? Faut-il incriminer les origines nomades des peuples qui ont dominé cette région, qu’il s’agisse des Arabes eux-mêmes, des Turcs ou des Mongols ? On ne peut, dans le cadre de cet épilogue, trancher une telle question. Contentons-nous de préciser qu’elle se pose toujours, en des termes à peine différents, dans le monde arabe de la fin du XXe siècle.
L’absence d’institutions stables et reconnues ne pouvait être sans conséquences pour les libertés. Chez les Occidentaux, le pouvoir des monarques est régi, à l’époque des croisades, par des principes qu’il est difficile de transgresser. Oussama a remarqué, lors d’une visite au royaume de Jérusalem, que « lorsque les chevaliers rendent une sentence, celle-ci ne eut être modifiée ni cassée par le roi ». Encore plus significatif est ce témoignage d’Ibn Jobair aux derniers jours de son voyage en Orient :

En quittant Tibnin (près de Tyr), nous avons traversé une suite ininterrompue de fermes et de villages aux terres efficacement exploitées. Leurs habitants sont tous musulmans, mais ils vivent dans le bien⁻être avec les Franj - que Dieu nous préserve contre les tentations ! Leurs habitations leur appartiennent et tous leurs biens leur son laissés. Toutes les régions contrôlées par les Franj en Syrie sont soumises à ce même régime : les domaines fonciers, villages et fermes sont restés aux mains des musulmans. Or le doute pénètre dans le cœur d’un grand nombre de ces hommes quand ils comparent leur sort à celui de leurs frères qui vivent en territoire musulman. Ces derniers souffrent, en effet, de l’injustice de leurs coreligionnaires alors que les Franj agissent avec équité.

Ibn Jobair a raison de s’inquiéter, car il vient de découvrir, sur les routes de l’actuel Liban Sud, une réalité lourde de conséquences : même si la conception de la justice chez les Franj présente certains aspects qu’on pourrait qualifier de « barbares », ainsi qu’Oussama l’a souligné, leur société a l’avantage d’être « distributrice de droits ». La notion de citoyen n’existe certes pas encore, mais les féodaux, les chevaliers, le clergé, l’université, les bourgeois et même les paysans « infidèles » ont tous les droits bien établis. Dans l’Orient arabe, la procédure des tribunaux est plus rationnelle ; néanmoins, il n’y a aucune limite au pouvoir arbitraire du prince. Le développement des cités marchandes, comme l’évolution des idées, ne pouvait qu’en être retardé.
La réaction d’Ibn Jobair mérite même un examen plus attentif. S’il a l’honnêteté de reconnaître des qualités à « l’ennemi maudit », il se confond ensuite en imprécations, estimant que l’équité des Franj et leur bonne administration constitue un danger mortel pour les musulmans. Ceux-ci ne risquent-ils pas en effet de tourner le dos à leurs coreligionnaires - et à leur religion - s’ils trouvaient le bien-être dans la société franque ? Pour compréhensible qu’elle soit, l’attitude du voyageur n’en est pas moins symptomatique d’un mal dont souffrent ses congénères : tout au long des croisades, les Arabes ont refusé de s’ouvrir aux idées venues d’Occident. Et c’est là, probablement, l’effet le plus désastreux des agressions dont ils ont été les victimes. Pour l’envahisseur, apprendre la langue du peuple conquis est une habileté, pour ce dernier, apprendre la langue du conquérant est une compromission, voire une trahison. De fait, les Franj ont été nombreux à apprendre l’arabe alors que les habitants du pays, à l’exception de quelques chrétiens, sont demeurés imperméable aux langues des Occidentaux.
On pourrait multiplier les exemples, car, dans tous les domaines, les Franj se sont mis à l’école arabe, aussi bien en Syrie qu’en Espagne ou en Sicile. Et ce qu’ils y ont appris était indispensable à leur expansion ultérieure. L’héritage de la civilisation grecque n’aura été transmis à l’Europe occidentale que par l'intermédiaire des Arabes, traducteurs et continuateurs. En médecine, en astronomie, en chimie, en géographie, en mathématiques, en architecture, les Franj ont tiré leurs connaissances des livres arabes qu’ils ont assimilés, imités, puis dépassés. Que de mots en portent le témoignage : zénith, nadir, azimut, algèbre, algorithme, ou plus simplement « chiffre ». S’agissant de l’industrie, les Européens ont repris, avant de les améliorer, les procédés utilisés par les Arabes pour la fabrication du papier, le travail du cuir, le textile, la distillation de l’alcool et du sucre - encore deux mots empruntés à l’arabe. On ne peut non plus oublier à quel point l’agriculture européenne s’est elle aussi enrichie au contact de l’Orient : abricots, aubergines, échalotes, oranges, pastèques… La liste des « arabes » est interminable.
Alors que pour l’Europe occidentale l’époque des croisades était l’amorce d’une véritable révolution, à la fois économique et culturelle, en Orient, ces guerres saintes allaient déboucher sur de longs siècles de décadence et d’obscurantisme. Assailli de toutes parts, le monde musulman se recroqueville sur lui-même. Il est devenu frileux, défensif, intolérant, stérile, autant d’attitudes qui s’aggravent à mesure que se poursuit l’évolution planétaire, par rapport à laquelle il se sent marginalisé. Le progrès, c’est désormais l’autre. Le modernisme, c’est l’autre. Fallait-il affirmer son identité culturelle et religieuse en rejetant ce modernisme que symbolisait l’Occident ? Fallait-il, au contraire, s’engager résolument sur la voie de la modernisation en prenant le risque de perdre son identité ? Ni l’Iran, ni la Turquie, ni le monde arabe n’ont réussi à résoudre ce dilemme ; et c’est pourquoi aujourd’hui encore on continue d’assister à une alternance souvent brutale entre des phases d’occidentalisation forcée et des phases d’intégrisme outrancier, fortement xénophobe.
A la fois fasciné et effrayé par ces Franj qu’il a connus barbares, qu’il a vaincus mais qui, depuis, ont réussi à dominer la Terre, le monde arabe ne peut se résoudre à considérer les croisades comme un simple épisode d’un passé révolu. On est souvent surpris de découvrir à quel point l’attitude des Arabes, et des musulmans en général, à l’égard de l’Occident, reste influencée, aujourd’hui encore, par des événements qui sont censés avoir trouvé leur terme il y a sept siècles.
Or, à la veille du troisième millénaire, les responsables politiques et religieux du monde arabe se réfèrent constamment à Saladin, à la chute de Jérusalem et à sa reprise. Israël est assimilé, dans l’acceptation populaire comme dans certains discours officiels, à un nouvel Etat croisé. Des trois divisions de l’Armée de libération palestinienne, l’une porte encore le nom de Hittin et une autre celui d’Ain Jalout. Le président Nasser du temps de sa gloire, était régulièrement comparé à Saladin qui, comme lui, avait réuni la Syrie et l’Egypte - et même le Yémen ! Quant à l’expédition de Suez en 1956, elle fut perçue, à l’égal de celle de 1191, comme une croisade menée par les Français et les Anglais.
Il est vrai que les similitudes sont troublantes. Comment ne pas penser au président Sadate en écoutant Sibt Ibn Al-Jawzi dénoncer, devant le peuple de Damas, la « trahison » du maître du Caire, Al-Kamel, qui a osé reconnaître la souveraineté de l’ennemi dans la Ville Sainte ? Comment distinguer le passé du présent quand il s’agit de la lutte entre Damas et Jérusalem pour le contrôle du Golan ou de la Bekaa ? Comment ne pas demeurer songeur en lisant les réflexions d’Oussama sur la supériorité militaire des envahisseurs ?
Dans un monde musulman perpétuellement agressé, on ne peut empêcher l’émergence d’un sentiment de persécution, qui prend, chez certains fanatiques, la forme d’une dangereuse obsession : n’a-t-on pas vu, le 13 mai 1981, le Turc Mehemet Ali Agca tirer sur le pape après avoir expliqué dans une lettre : J’ai décidé de tuer Jean-Paul II, commandant suprême des croisés. Au-delà de cet acte individuel, il est clair que l’Orient arabe voit toujours dans l’Occident un ennemi naturel. Contre lui, tout acte hostile, qu’il soit politique, militaire ou pétrolier, n’est que revanche légitime. Et l’on ne peut douter que la cassure entre ces deux mondes date des croisades, ressenties par les Arabes, aujourd’hui encore, comme un viol.
Amin Maalouf, Les Croisades vues par les Arabes, Epilogue

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