17 février 2013

Poe : quelle influence a-t-il eue sur A. Hitchcock ?


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Ah que coucou !
 
2 célébrités. 2 grands maîtres. Oui, comment ne pas remarquer qu’il existe entre eux un lien ? Mais, au lieu de chercher et nous triturer les méninges, nous allons simplement laisser la parole à Alfred Hitchcock qui va nous expliquer cela bien mieux que nous ne saurions le faire nous-mêmes ;) :
 
Voici plusieurs années qu’on m’appelle « le roi du suspense ». Sans doute est-ce pour cette raison que l’on m’a demandé d’écrire une préface pour la nouvelle édition des « Histoires Extraordinaires » d’Edgar Allan Poe. J’en suis très flatté car je dois reconnaître que ce célèbre auteur est le créateur incontesté du genre.
 
Ai-je été influencé par Edgar Allan Poe ? Pour être franc, je ne pourrais pas l’affirmer avec certitude. Bien sûr, inconsciemment, nous sommes toujours influencés par les livres que nous avons lus. Les romans, la peinture, la musique et toutes les œuvres d’art en général forment notre culture intellectuelle dont nous ne pouvons nous débarrasser. Même si nous le désirons !
 
Tout d’abord, je dois avouer que j’ai facilement peur. Je m’en suis rendu compte lorsque j’avais quatre ou cinq ans. Je me rappelle cette nuit où je me suis réveillé en sursaut. La maison était plongée dans l’obscurité et tout à fait silencieuse. Je me suis dressé sur mon séant et je me suis mis à appeler ma mère. Personne ne m’a répondu parce qu’il n’y avait personne. Je tremblais de peur. Pourtant j’ai pu trouver suffisamment de courage pour me lever. J’errai dans la maison complètement vide. Je parvins dans la cuisine que la lune éclairait d’une manière sinistre. Je tremblais de plus en plus. En même temps, j’avais faim. J’ouvris donc le buffet dans lequel je trouvai de la viande froide que je me mis à manger en pleurant. Je ne me calmai que lorsque mes parents revinrent. Ils m’expliquèrent qu’ils étaient allés se promener parce qu’ils me croyaient endormi. Depuis ce jour, il y a deux choses que je ne peux plus supporter : être seul quand il fait nuit et manger de la viande froide !
 
A cette époque, je n’avais évidemment jamais entendu parler d’Edgar Allan Poe. C’est à seize ans seulement que je découvris son œuvre. Je lus d’abord par hasard sa biographie, et la tristesse de sa vie fit une grande impression sur moi. J’éprouvais une immense pitié à son égard parce que, en dépit de son talent, il avait toujours été malheureux.
 
Lorsque je revenais du bureau où je travaillais, je me précipitais dans ma chambre, prenais une édition bon marché de ses « Histoires extraordinaires » et me mettais à lire. Je me souviens encore des sentiments qui étaient les miens lorsque je terminai « Double Assassinat dans la Rue Morgue ». J’avais peur mais cette peur me fit justement découvrir quelque chose que je n’ai jamais oublié depuis.
 
La peur, voyez-vous, est un sentiment que les hommes aiment éprouver quand ils sont certains d’être en sécurité. Lorsqu’on est assis tranquillement chez soi et qu’on lit une histoire macabre, on se sent néanmoins en sécurité. Naturellement, on tremble, mais, comme on se trouve dans un décor familier, et quand on se rend compte que seule l’imagination est responsable de la frayeur, on est envahi par un extraordinaire bonheur. Un bonheur comparable à celui qu’on ressent quand on boit après avoir eu très soir. Un bonheur qui fait apprécier la douce chaleur que diffuse, sous son abat-jour, la lampe amicale et le moelleux fauteuil dans lequel on est confortablement assis.
 
A mon avis, le lecteur est exactement dans la même situation que le spectateur de cinéma. Et très probablement c’est parce que j’ai tellement aimé les histoires d’Edgar Allan Poe que j’ai commencé à faire des films de suspense. Sans vouloir paraître immodeste, je ne peux m’empêcher de comparer ce que j’essaie de mettre dans mes fils avec ce qu’Edgar Poe a mis dans ses nouvelles : une histoire parfaitement incroyable contée aux lecteurs avec une logique tellement hallucinante que l’on a l’impression que cette même histoire peut vous arriver demain. Et c’est la règle du jeu si l’on veut que le lecteur ou le spectateur se substitue au héros car, en vérité, les gens ne s’intéressent qu’à eux-mêmes ou aux histoires qui pourraient les affecter.
 
Moi-même je ne fais pas exception à cette règle. Si « Le Scarabée d’Or » m’a fasciné et me fascine encore, c’est parce que j’ai toujours aimé l’aventure, les voyages et l’impression de dépaysement. Lorsque j’étais enfant, pour satisfaire ma passion des bateaux, j’avais une immense carte dans ma chambre sur laquelle j’indiquais à l’aide de petits drapeaux la place exacte des bâtiments naviguant sur les mers et les océans du monde. Il me suffisait de la regarder pour me croire un capitaine au long cours ! Cette histoire de trésor que l’on retrouve grâce à un mystérieux de scarabée répond à mon amour du fantastique et de la précision.
 
Je crois qu’Edgar Allan Poe a une place très particulière dans le monde de la littérature. Il est à la fois, sans l’ombre d’un doute, un romantique et un précurseur de la littérature moderne. Au romantisme, il ne pouvait échapper, car nul ne peut échapper à la tendance de l’époque où l’on vit. Il ne faut pas oublier qu’Edgar Allan Poe allait à l’école en Angleterre en 1816, alors que Goethe avait déjà publié « Faust » et que les premières histoires d’Hoffmann venaient juste de paraître. Ce romantisme est peut-être encore plus sensible dans la traduction faite par Baudelaire qui est celle que vous utilisez. A mon avis, ces deux auteurs sont très proches l’un de l’autre, et j’irai même jusqu’à dire qu’on pourrait nommer Baudelaire l’Edgar Poe français.
 
Et le surréalisme ? N’est-il pas né autant de l’œuvre d’Edgar Poe que de celle de Lautréamont ? Cette école littéraire a certainement eu une grosse influence sur le cinéma, surtout vers les années 1925-1930 lorsque le surréalisme a été transposé à l’écran par Bunel avec « L’Age d’Or » et « Le Chien Andalou », pour René Clair avec « Entracte », par Jean Epstein avec « La Chute de la Maison Usher » et par votre académicien français Jean Cocteau avec « Le Sang d’un Poète » ? Influence que j’ai subie moi-même, ne serait-ce que dans les séquences de rêve et d’irréalité de certains de mes films.
 
Cependant du fait de la différence des moyens d’expression et de l’époque, je ne crois pas qu’il existe une réelle ressemblance entre Edgar Allan Poe et moi-même. Edgar Poe est un poète maudit, et je suis un cinéaste commercial. Il aimait faire frémir les gens. Moi aussi. Mais il n’avait pas vraiment le sens de l’humour. Et pour moi, le « suspense » n’a pas de valeur s’il n’est pas équilibré par l’humour.
 
En style cinématographie, le « suspense » consiste à susciter une curiosité haletante et à établir une complicité entre le metteur en scène et le spectateur, qui, lui, sait ce qui va arriver. Dans un livre, au contraire, le lecteur ne doit jamais deviner ce qui va arriver et ne doit pas connaître le dénouement de l’intrigue avant de parvenir à la fin du livre.
 
Cependant, Edgar Allan Poe et moi avons certainement un point commun. Nous sommes l’un et l’autre prisonniers d’un genre : le « suspense ». Vous connaissez l’histoire qu’on a racontée maintes et maintes fois : si je tournais « Cendrillon », tout le monde chercherait le cadavre… Et si Edgar Allan Poe avait écrit « La Belle au bois dormant », on chercherait l’assassin !
 
Alfred Hitchcock
Source:

Préface
Histoires Extraordinaires d’Edgar Allan Poe
 
Bisous,
@+
Sab

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